Magazine Lambert
Alec Stephani fait tourner la roue
Par Suzanne Laliberté
La multiplication des activités créatives est le quotidien
d’Alec Stephani. Cet artiste-peintre et designer de vélos est fasciné
par les anciennes mécaniques et par les vieux bâtiments industriels. Un
original, ce Lambertois ? C’est peu dire, il conçoit aussi des
sous-marins et écrit des romans !
L’héritage familial
Originaire de Suisse, Alec Stephani vient d’une famille de créateurs.
Sa mère était portraitiste et enseignante, et son art a fait vivre la
petite famille après la mort du père. Ce dernier provenait d’une famille
de médecins, et cette carrière lui avait été imposée. Cependant, le
père d’Alec, ayant l’âme d’un ingénieur, a choisi la radiographie, une
spécialité
high-tech à l’époque. Il a commencé à modifier sa
propre machine, mais les protocoles de sécurité en matière de radiations
étaient presque inexistants ; il est décédé précocement. Les parents
d’Alec lui ont donc légué deux héritages : l’amour de l’art et de la
technologie. Il navigue avec facilité entre ces deux univers dont le fil
conducteur est la créativité.
L’arrivée
Alec se décrit comme un réfugié culturel ! Ayant étudié en graphisme,
il travaillait déjà dans le domaine de la publicité en Suisse, avant
son arrivée au Québec en 1988, à l’âge de 23 ans. Mais le système
hiérarchique typique des vieux pays ne satisfaisait pas son
effervescence créatrice. « Au Québec, si tu as une bonne idée, on
t’aide, tandis qu’en Suisse, on ne t’aide que lorsque tu as réussi ».
Alec avait déjà un emploi dans le secteur publicitaire à son arrivée au
Québec, mais c’est surtout la musique qui a favorisé son intégration.
Arrivé sans ses claviers, il s’est improvisé chanteur et a été recruté
par un
band avec lequel il a fait une soixantaine de concerts par année pendant 10 ans.
La sabbatique
Arrive alors la récession de 1990, et Alec se retrouve au chômage. Il
décide de consacrer ce temps à créer. « Le petit Suisse en moi
regardait ça de haut et se disait : “ Tu n’as pas le droit ”, mais
j’avais besoin de cette sabbatique. Cet hiver-là, j’ai peint sans
arrêt ! » Dans son appartement de l’époque, situé au deuxième étage, il y
avait des peintures et des sculptures partout, ainsi que cinq motos en
pièces détachées. « Je ne suis pas un gars de garage. Dans la mécanique,
c’est le côté sculptural qui m’intéresse. Ma réflexion va au-delà de la
technologie, elle s’articule par rapport à l’objet, à la beauté de la
pièce.
Opus “Nuovella” collection Urbanista. Inspiré d’une ancienne Vespa 1958 et de la Dolce. Vita de Felini de 1960.
La peinture
C’est à cette époque qu’est née la série de peintures intitulée
Mécanique.
En peinture, la démarche actuelle d’Alec se veut un travail de mémoire
des objets, des architectures et des lieux, de leur valeur et de leur
passage dans le temps. Elle est aussi un questionnement sur la
conception de ces objets et architectures, l’esthétisme et la durabilité
étant devenus des notions trop souvent obsolètes.
Les sous-marins
Cette même année, un ami étudiant à l’École de technologie supérieure
(ETS), Éric Deschamps, lui propose de participer à un concours
international de conception et de course de sous-marins à propulsion
humaine. La deuxième version de leur sous-marin
Omer a battu le
record du monde de vitesse sous l’eau, et depuis (ils en sont à la
neuvième version), l’équipe bat ses propres records, toutes catégories
confondues. « Ils sont fous ces ingénieurs ! Avec ce projet, j’ai été
propulsé dans un univers complètement différent. C’est avec eux que j’ai
appris le design industriel. »
Les vélos
Après la sabbatique et l’expérience sous-marine, Alec réalise que le
milieu de la publicité ne correspond plus à ses valeurs. Un ami le
recrute alors pour refaire l’image graphique et le catalogue de
l’entreprise OGC, un distributeur de vélos et d’accessoires de cyclisme.
Il accepte le mandat sans grand enthousiasme. Mais grâce à l’expérience
des sous-marins, les dirigeants de l’entreprise comprennent les
capacités d’Alec en design industriel. On lui propose alors de
développer une ligne d’accessoires de vélo. Ce projet, concret,
correspond mieux au type de création qui l’interpelle. Puis, en 2001,
OGC décide de créer ses propres vélos. En collaboration avec un collègue
expert de ce sport, Alec crée les cinq premiers vélos de la réputée
marque Opus. Depuis, 95 modèles ont été développés.
« C’est quoi, un bon vélo ? », questionne Alec. « Plus encore que la
haute technologie, le design doit réveiller la sensation de plaisir.
Comme lorsqu’on était enfant et que notre vélo était l’objet magique
qu’on enfourchait pour partir à la découverte du quartier. » Le courant
Slow Bike, originaire d’Angleterre, est une philosophie qui va en ce
sens, explique Alec. « Au lieu de penser comme un automobiliste, le
cycliste peut choisir d’autres voies, propices à l’observation de
l’architecture et de la nature, comme un enfant préférera spontanément
la ruelle à la circulation de la grande rue. »
L’écriture
Toutes ces réflexions amènent Alec à démarrer le blogue Urbanista*,
qui présentait la gamme éponyme des vélos Opus via des articles et des
entrevues, et il découvre alors le plaisir de l’écriture journalistique.
Mais Alec avait déjà commencé à écrire des romans dès 1990. Il a
commencé par une toute petite histoire de science-fiction devant faire
4 ou 5 pages, mais qui s’est terminée par 200 pages ! Suivent trois
romans portant sur la sculpture (
Métal), la peinture (
Le pinceau d’ocre) et la musique (
La dernière note).
Bien sûr, Alec aimerait être publié. « Telle une peinture qui,
lorsqu’elle est installée dans le salon particulier, prend une autre
forme, l’écriture doit circuler et avoir sa vie propre », explique Alec.
Comme son écriture est très visuelle, il songe aussi au cinéma. Bref,
sa carrière d’écrivain est en devenir. « On verra… », dit Alec,
philosophe.
Les performances
Récemment, Alec a commencé à tâter de la performance. « Le goût pour
la performance vient d’une scène que j’avais écrite dans le roman
La dernière note.
Je voulais vivre moi aussi cette expérience. » Il planche présentement
sur un projet d’improvisation mélangeant art visuel et
électro-acoustique. « J’ai amené ma peinture dans le design, mais pour
la première fois je l’intègre à la musique. »
L’avenir
Peinture, écriture, musique, design, mécanique, performance et
sculpture… où cela le mènera-t-il ? « Mon parcours m’a maintes fois
montré que ce qui semble être des directions professionnelles
différentes est en fait une suite logique à ma véritable passion :
créer ! » La carrière prometteuse de ce « Da Vinci lambertois » est donc
à surveiller, car il est impossible de prédire dans quelle direction
elle ira !
*Le blogue Urbanista a existé durant cinq ans. Il n’est plus en ligne.
www.alec5.com —
www.alecart.blogspot.com
Opus “Cervin”, collection Urbanista. Inspiré d’une Jeep Saharienne de 1940 et de Indiana Jones.
Ses favoris
Film : Les ailes du désir, de Wim Wenders l’a profondément marqué.
Musique
: Arvo Pärt, Fauré, Debussy et Borodine, Keith
Jarret, Miles Davis, Dan Touin, Brand New Heavies, Zéro 7, Meshell
Ndegeocello et Daft Punk.
Voyages
: New York, San Francisco, Paris, Berlin, Venise.
Passe-temps
: Créer, créer et créer !
Cause sociale
: Le vélo comme mode de vie.
Restaurant
: Bidon Taverne Culinaire, évidemment !